[Saison culturelle BU fév.-mars 2023] L'Ignorance

Fake news, post-vérité, théories du complot, règne de la rumeurtout porte à croire que l’ignorance s’accroît, sous l’effet, semble-t-il, de la présence de plus en plus prégnante des réseaux sociaux et de la multiplication de sources d’information parfois jugées illégitimes car non validées par des « spécialistes » ou des « expert.e.s ». Si l’accroissement de l’ignorance est le corollaire malheureux de ces nouveaux lieux d’information, il est aussi parfois une stratégie, un outil de manipulation par lequel on cherche à maintenir certaines populations dans une illusion du savoir afin de protéger des intérêts politiques ou commerciaux. Cette production délibérée d’ignorance a même donné lieu à l’émergence d’un champ d’étude apparu aux États-Unis au début des années 2000, l’agnotologie, qui s’intéresse plus particulièrement au secret et à la production du doute dans les domaines médicaux et environnementaux.

Pourtant, dans le même temps, nul ne peut nier que le savoir collectif s’accroît. Les progrès scientifiques – en médecine, en informatique, en astronomie, etc. – en témoignent. C’est là l’un des paradoxes de l’ignorance, souvent représenté par l’analogie entre la connaissance et une île : plus l’île s’agrandit (i.e. plus la connaissance s’accroît), plus les côtes, c’est-à-dire l’ignorance, s’allongent.

C’est aussi parce que l’ignorance est une fonction du savoir qu’elle est devenue un objet d’étude privilégié depuis quelques années. Anthropologues, sociologues, philosophes, historien·nes, mais aussi scientifiques reconnaissent désormais sa fonction sociale, intellectuelle, morale et épistémologique, à tel point que, dans certains cursus universitaires, l’ignorance est enseignée : il s’agit d’étudier, non plus seulement le savoir acquis, mais celui qui demeure ignoré et qui reste à découvrir. Ainsi, alors qu’elle est souvent associée à l’obscurantisme, l’ignorance est bien un moteur de la science, comme l’a montré le chercheur en neurosciences Stuart Firestein. La valeur épistémologique de l’ignorance n’est pas le moindre des paradoxes qui lui sont attachés.

Mais l’ignorance porte aussi une valeur morale et intellectuelle : reconnaître qu’on ignore est en soi un savoir et une forme de sagesse, selon l’adage socratique. Les figures littéraires et philosophiques de l’Idiot, de l’illettré éclairé ou de l’autodidacte illustrent d’ailleurs la supériorité d’une ignorance qui se sait sur la certitude vaine de l’érudit. Reconnaître son ignorance, c’est aussi faire preuve de prudence et évaluer le risque des actions à venir.

Il y a donc une actualité et une histoire de l’ignorance, où se croisent des disciplines qui pourtant n’échangent que rarement entre elles. Cette saison permettra justement de les faire dialoguer afin de démêler les nombreux paradoxes de l’ignorance, à travers une rencontre, un débat, des ateliers et un escape game.

Coordinatrice scientifique


Sandrine Parageau, professeure d’histoire et de civilisation britanniques de la période moderne à Sorbonne Université
 

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Mis à jour le 20 février 2023