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[Le travail] Filmer le travail

Publié le 26 septembre 2021 Mis à jour le 6 avril 2022

Projection du documentaire "C'est quoi ce travail ?", suivie d'une discussion en présence du réalisateur Sébastien Jousse, animée par Alicia Harrison, enseignante chercheuse à l'Université Paris Nanterre, réalisatrice, et les étudiants et étudiantes du master Cinéma documentaire et anthropologie visuelle

Date(s)

le 26 novembre 2021

10h - 12h30
Lieu(x)

Bâtiment Bibliothèque universitaire (BU)

Le Pixel
Dans "C'est quoi ce travail ?", Sébastien Jousse et Luc Joulé filment les salariés d’une usine de pièces automobile et la création du compositeur Nicolas Frize au coeur de ces ateliers :
 
Film après film, notre recherche cinématographique semble nous ramener à cette obstination de plus en plus affirmée : filmer le travail vivant.

À travers cet acte de donner à regarder et écouter le travail en train de se faire – ici la production d’une usine d’emboutissage et la création musicale d’un compositeur – nous cherchons à rendre sensible une lutte, qu’individus travaillants ou aspirant à l’être, nous partageons tous. Une lutte authentique, plus ou moins consciente, qui nous pousse à toujours vouloir mettre de nous-même dans le travail. Aussi rébarbatif soit-il.

Une obstination très humaine, qui ne se résume pas à bien faire son travail ou à chercher à s’y sentir bien. Plutôt une inclination naturelle à faire les choses à notre façon, à trouver nos espaces de liberté, même dans les tâches les plus prescrites, d’investir la part de soi qui donne du sens. Au travail, au-delà d’y « gagner sa vie », nous voulons d’abord exister.
Sans ce périmètre intime et « intouchable », le travail n’est plus alors qu’une coquille vide, un moyen de subsistance mortifère, un temps hors du temps, moment de vie hors de la vie.

Film après film, nous constatons une organisation du travail qui nie délibérément cette part vivante. Une fiction totalitaire qui, sous couvert de rationalité et d’impératifs de production, vide le travail de sa substance véritable. Aucune catégorie professionnelle n’y échappe.
En nous focalisant sur cette lutte, nous ne cherchons pas éluder d’autres combats. Pendant les trois années de notre séjour, nous avons beaucoup discuté avec les salariés de l’usine. Malgré leurs efforts, les concessions, les résistances, leur inquiétude est grande sur la pérennité de l’activité.

Cette réalité sociale transparait au fil des témoignages du film, mais elle n’en est pas le sujet. Pas plus que les difficultés pourtant réelles et quotidiennes de Nicolas Frize à faire vivre sa structure de création artistique. Le travail ne va pas de soi dans les usines. Pas plus que dans la musique contemporaine ou le cinéma documentaire de création.

Alors pourquoi s’obstiner à filmer le travail vivant alors que sa mise à mal semble partout à l’œuvre ?

Comme Italo Calvino qui cherche « au milieu de l’enfer ce qui n’est pas l’enfer », nous pensons qu’en filmant, en disant, en écrivant, en chantant le travail vivant, en le discutant publiquement, nous le rendons, peut être, plus difficile à tuer, nous offrant même l’opportunité de le réinventer.

C’est en tout cas l’occasion de se réapproprier collectivement cette part de nous-mêmes qu’est le travail vivant et d’y trouver, parfois de manière inattendue, une culture partagée. C’est pourquoi nous voulons donner à la sortie du film dans les salles de cinéma, la dimension d’un acte culturel, le point de départ d’une rencontre, d’une nouvelle parole plurielle et commune. Une parole vivante.


Sébastien Jousse

Mis à jour le 06 avril 2022